Interview by Open Magazine
November 2010
By Michael Camardese
“Slumdog Millionaire ? It is not related to my life at all. Completely fictional…”.
Et pourtant… Ecrit en à peine trois mois courant 2004, Questions and Answers trouva une réponse éditoriale en un temps record, fut récompensé de nombreux prix et son adaptation à l’écran valut au film de recevoir huit Oscars, en 2009.
Vikas Swarup est indien, issu d’une famille d’avocats, mari d’une artiste peintre, père de deux adolescents, et diplomate parcourant le monde. Il n’aime guère en dire davantage, ou alors distille le strict nécessaire à qui s’intéresse à la genèse de son premier roman. Le “diplomate qui écrit”, comme il aime se nommer, avoue que son violon d’Ingres, la littérature, l’amena à s’essayer lui-même à l’exercice de l’écrit. Par défi, par envie.
N’estimant pas avoir la compétence d’un auteur, il travailla presque en secret sur son roman. Profitant d’une mission diplomatique à Londres, alors que toute sa famille était de nouveau revenue au pays, il se plongea durant quelques semaines dans cette histoire d’un enfant des rues à qui la chance devait sourire, au prix d’une grande souffrance. L’auteur la décrivit aussi précisément que son imagination le lui permit. Ses voyages à travers le monde lui firent découvrir des mœurs et cultures qui lui donnèrent, certainement, les clés d’une intrigue dérangeante, mais élégamment rédigée. Il proposa à une dizaine d’éditeurs une ébauche de son roman… sans trop y croire. La suite fut rapide. Trop peut-être. Sur sa route, l’ouvrage récoltera quatre prix majeurs, sera traduit dans plus de quarante pays et une fois remodelé en scénario pour le grand écran, connaîtra un second souffle grâce aux huit Oscars récoltés par le film.
Pourtant, le livre et le film empruntent deux voies distinctes. Les tonalités ne sont pas les mêmes. Le livre est écrit en treize chapitres que l’on découvre au gré des réponses que donne le personnage principal, lors de sa participation à un quiz télévisé. Pauvre, il est arrêté durant le jeu. Par définition un pauvre ne sait rien. Donc s’il gagne, c’est qu’il triche. Il est assisté d’une avocate qui veille à ce que les forces de l’ordre ne l’abîment pas trop, et son épopée se déroule à rebours pour le lecteur. Dès le début du récit, un climat d’injustice est installé. Ram Muhammad Thomas, le héros, dont le nom deviendra Jamal Malik dans le film, vit auprès d’un prêtre dont l’un des collègues est un pédophile drogué. L’enfant est ensuite indirectement confronté à des problèmes d’inceste, doit faire face aux mutilations infligées dans une école de mendiants qu’il a intégrée, entre au service d’une star déchue et la voit se suicider, tue pour survivre une fois adolescent, voit son ami Salim devenir le serviteur d’un tueur à gages, découvre l’amour dans les bras d’une prostituée et vole pour essayer de la racheter à son souteneur. Faute d’obtenir la somme nécessaire, il donnera l’argent pour sauver la vie d’un petit garçon mordu par un chien enragé. A la fin de l’ouvrage, il apprendra que l’animateur du quiz a précédemment torturé sa dulcinée prostituée, découvrira que son avocate n’est autre que la petite fille qu’il a arraché aux griffes de l’inceste et on connaît la suite…
Vikas Swarup, avec une écriture légère, traite de sujets très lourds. Le lecteur n’apprend pas grand-chose de la situation du pays mais plonge au cœur d’un de ces noyaux socio-économiques : les bidonvilles. Sur fond de colonialisme, de nationalisme, de pauvreté extrême, d’inégalité sociale, de corruption policière, ou encore de dépendance économique occidentale, la lecture du roman ne fait pas le sourire. Et pourtant… L’auteur est un diplomate qui n’a pas fréquenté le milieu qu’il décrit. Que le héros devienne milliardaire n’efface pas un parcours qui semble plausible. L’écrivain nous propose une vision assez pessimiste d’un pays qui nous est souvent présenté comme un nouvel eldorado en pleine expansion.
Le film joue une autre carte. Disons… occidentale. Vikas Swarup n’y a pas participé. Ou très peu. Beaucoup de situations ont été adaptées, modifiées, supprimées pour certaines, et totalement réécrites pour d’autres. De l’aveu même du réalisateur de Slumdog Millionnaire, Danny Boyle, personne de l’équipe ne connaissait quoi que ce soit à l’Inde, avant le tournage. Le fil conducteur du livre reste bien visible, même si certains chapitres sont absents. La brutalité policière, pour obtenir les aveux du prisonnier, nous fait découvrir les méthodes d’électrocution en vigueur. Jamal (Ram) a un frère (Salim, l’ami du livre). Les conflits entre communautés provoqueront la mort de leur mère. Orphelins, les deux frères et leur amie Latika seront pris en charge par des bandits, qui mutilent les enfants pour les faire mendier dans les rues. Ils parviennent à s’enfuir. La vision donnée de l’Inde est ensuite celle d’un pays partagé en deux : les bandits qui ont le pouvoir et ceux qui progressent dans la hiérarchie sociale. Jamal – le gentil – devient serveur de thé dans un centre d’appel quand son frère – moins gentil – est à la solde d’un tueur à gages. Latika vit avec un bourreau. Happy end à l’issue des douze questions car, grâce à l’intervention de Salim, Latika réussira à s’enfuir de sa cage dorée. Salim affrontera les méchants, les tuera, mais tombera lui-même sous les balles. En héros. Whaouh. Jamal, quant à lui, ne joue pas pour l’argent mais pour retrouver sa belle. Sans le vouloir, il devient une icône en Inde, récupère sa dulcinée, et gagne vingt millions de roupies. Re-whaouh. A la fin, tout le monde danse sur un quai de gare… Tiens ?
Faire un film tiré d’un livre demande de choisir un point de vue. Difficile avec l’Inde. Colonie anglaise pendant presque cent ans, elle est sortie du colonialisme au début du vingtième siècle – avec Gandhi – et c’est via la libération de l’économie en 1991 et la révolution technologique que changèrent les façons de penser l’avenir. Pour des millions d’exclus, le mode de vie des plus riches devint de plus en plus attirant. Tout est alors allé très vite. Hissée aujourd’hui au dixième rang des nations industrialisées, l’Inde lance dans l’espace ses propres satellites, fabrique son acier, possède une industrie aéronautique et peut se vanter d’être une puissance nucléaire. Une classe moyenne s’est formée là où l’illettrisme dominait. La mobilité a ébranlé le système des castes, ouvrant la voie de l’université et de l’administration à ceux qui en étaient exclus. Le taux d’alphabétisation et passé de 18% en 1951 à 66 % en 2001. Dans les zones urbanisées, les femmes travaillent dans toutes les branches professionnelles. Mais à côté de cela, des contrastes sont saisissants. Mumbai (ex-Bombay) souffre d’une crise d’identité : elle est en plein boom économique, tout en étant au bord de la catastrophe sociale. C’est la plus grande ville d’Inde, la plus riche. Le dernier recensement lui attribuait quinze millions d’habitants mais la moitié est constituée de sans-logis. Dans un pays où la faim tue encore, Mumbai se glorifie de ses cent cinquante cliniques d’amaigrissement… Alors choisir un point de vue à partir de là…
Le livre a plu avant le film. Le film a séduit énormément à travers le monde. Le livre a trouvé un second souffle ensuite pour se construire une stature de best-seller. Tout cela, sur fond de polémique en Inde, dans les bidonvilles notamment. Finalement, entre les bornes que forment ce duo livre/film, se jouent certainement beaucoup des scènes de vie de ce pays. A quoi avons-nous été le plus sensible ? C’est en substance ce que j’ai voulu demander à l’auteur.
According to you, why slumdog millionaire knew such a success ? What so much pleased the public both in the book and in the movie ?
I think Slumdog Millionaire worked because it was the right film for the right time. At a time when people were facing uncertainty because of the global financial crisis, this film gave them hope. At a time when most Hollywood blockbusters are about special effects and make-up, Slumdog felt ‘real’. And finally, at a time when there is a new interest in India, this film gave the world a story about modern India. Besides, it is also a brilliant ‘package’ with superb acting, wonderful cinematography and a brilliant musical score. The film is somewhat different from the book but it retains the ‘soul’ of the book, the story of the undergoing struggling, and eventually succeeding. Also, it was a new way of telling a story, revealing the private life of the hero through the public spectacle of a quiz show. But Slumdog is not related to my life at all. It is completely fictional.
L’homme avait prévenu. Je suis un “diplomate qui écrit”. Il ne dit rien de réellement explicite sur l’Inde. Nous de dirons rien de réellement explicite sur l’auteur. Une sorte de gentlemen agreement… Son deuxième roman est paru en 2008. Une adaptation à l’écran est également prévue. Sans doute noterons-nous à nouveau des différences, des ajustements, des choix d’interprétation. Mais il restera ce que l’auteur nous transmet : une percée culturelle, complémentaire ou non à Bollywood, qui nous présente l’Inde sous un de ses multiples visages.
Find the interview at: http://www.openmag.ch/2011/01/03/vikas-swarupvikas-swarup/
