L'Indien qui vaut des millions
24/05/2010
Par
Blaise De Chabalier

L'Indien qui vaut des millions ">
L'écrivain Vikas Swarup, qui a connu la gloire au cinéma avec «Slumdog Millionaire», adapté de son premier roman, publie son deuxième livre, un thriller haletant. Rencontre avec un romancier qui est aussi un diplomate.
«Je suis d'abord un diplomate, l'écriture n'est pour moi qu'un hobby», glisse Vikas Swarup, consul général d'Inde au Japon, de passage à Paris. L'auteur qui rencontra d'emblée
le succès avec son premier roman, paru en 2006 en France, puis la gloire quand l'ouvrage fut adapté à l'écran en 2008 sous le titre de Slumdog Millionaire, avoue avoir posé une semaine de congés pour assurer la promotion en Europe de son deuxième livre, Meurtre dans un jardin indien (Belfond), un thriller très bien ficelé.
Plutôt petit, cheveux poivre et sel, dynamique, Vikas Swarup approche la cinquantaine. Il vous accueille avec la décontraction d'un vacancier, dans la courette d'un élégant hôtel du Quartier latin. «Je suis un écrivain libre, je n'ai pas besoin d'écrire pour vivre!», dit-il tout sourire. Quant à l'idée d'arrêter sa carrière pour se consacrer à la littérature, il n'y songe pas. En tout cas, pas encore. «J'aime mon métier. Et je n'ai encore publié que deux livres. Si j'atteins un jour le niveau des ventes de Dan Brown, je donnerais peut-être ma démission», concède celui qui a tout de même déjà vendu dans le monde plusieurs millions d'exemplaires de son premier roman, Les Fabuleuses Aventures d'un Indien malchanceux qui devint milliardaire (Belfond). En France, le livre s'est vendu dans un premier temps à 40 000 exemplaires, ce qui est déjà très bien pour un roman étranger, puis à plus de 220 000 après la sortie du film.
Qu'il soit dans le rôle du romancier ou dans celui du consul, Vikas Swarup est animé par une même passion, celle de son pays. Certains, parmi ses compatriotes, ont toutefois dénoncé l'image, selon eux, misérabiliste, qu'il donne de l'Inde actuelle. À ceux-là, il répond: «Qui aime bien châtie bien!» Il précise que s'il n'écrit pas des documentaires, ses descriptions de la société indienne sont toutefois réalistes. L'auteur ajoute que son premier roman, attaqué violemment,
notamment par Salman Rushdie, est avant tout une histoire pleine d'espérance, positive, qui montre une jeunesse indienne ne manquant pas de ressources. Quant à son nouvel ouvrage, un thriller dans lequel il décrit un monde politique indien en proie à la corruption, les critiques locales se sont focalisées, dit-il, sur le fait que plusieurs crimes ayant réellement existé y sont évoqués. Toujours la même volonté de ne pas présenter une Inde de conte de fées, façon Bollywood.
Une vocation littéraire tardive
On peut aussi se demander si Vikas Swarup est si bien placé que ça pour écrire sur l'Inde moderne, dans la mesure où il n'y vit plus depuis 1986. En près de vingt-cinq ans, il a été en poste en Turquie, aux États-Unis, en Éthiopie, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, avant d'arriver au Japon il y a une année. «Je ne passe qu'un mois par an dans mon pays, mais je suis en contact avec lui grâce à Internet et aux dix chaînes de télévision indiennes que je reçois chez moi», précise le diplomate. L'écrivain souligne aussi que sa jeunesse passée dans le sous-continent, où il naquit dans la province de l'Uttar Pradesh en 1963, l'a suffisamment marqué pour lui permettre de le comprendre parfaitement. Il affirme notamment avoir côtoyé les classes indiennes pauvres dans sa jeunesse.
Cette remarque n'est pas anodine. Certains considèrent en effet que Vikas Swarup, descendant d'une dynastie de juristes, parle des pauvres sans les connaître. L'intéressé raconte alors qu'enfant, il jouait au cricket avec des camarades défavorisés. «Contrairement à ce qu'on croit en Occident, il existe en Inde des contacts entre les différentes classes sociales. Je me souviens par exemple que, quand mes parents furent les premiers de notre quartier à acheter une télévision noir et blanc, au début des années soixante-dix, une quarantaine de pauvres des environs s'installaient dans notre grand salon pour venir regarder des films.»
Sa vocation littéraire? Vikas Swarup reconnaît bien volontiers qu'il n'a jamais eu la volonté d'écrire avant d'atteindre la quarantaine. En revanche, il souligne avoir toujours été un lecteur passionné: «Dès l'adolescence, je dévorais les livres. De Sartre à Kafka en passant par Camus et Tolstoï. J'appréciais aussi les romans policiers, ceux d'Agatha Christie notamment», dit celui qui étudia à l'université d'Allahabad, sa ville de naissance, l'histoire, la psychologie et la philosophie.
Finalement, c'est en voyant plusieurs de ses collègues diplomates publier des romans que Vikas Swarup décida, en 2003, d'écrire. Alors en poste à Londres, il boucla son premier roman en deux mois. Mais si Slumdog Millionaire obtint huit oscars , le film mis en scène par l'Anglais Danny Boyle causa quelques tourments à Vikas Swarup. Il n'apprécia pas, notamment, la transformation du nom du héros - à l'origine Ram Mohammad Thomas, à la fois Hindou, musulman et chrétien - en un patronyme exclusivement musulman: Jamal Malin. Pour l'adaptation de Meurtre dans un jardin indien, l'écrivain, qui recevra bientôt le scénario, sera plus vigilant. Quant à ses projets d'écriture, Vikas Swarup s'éloigne, au moins pour un temps, de l'Inde. Il prépare un thriller dont l'action se déroule en Amérique centrale et un roman initiatique qui se situe en Europe centrale. Voilà une vraie prise de risque.